WE WILL CUT YOU (avec Callisto Mc Nulty)

Émilie et Callisto se rencontrent en 2015.
Callisto travaille alors à la conception d’une édition numérique autour de SCUM Manifesto —vidéo de Carole Roussopoulos et Delphine Seyrig, réalisée en 1976, d’après le manifeste féministe de l’Américaine Valérie Solanas —, et propose à Émilie d’écrire un texte en écho à ces deux œuvres,
« Cette homme est la femme qu’il nous faut ».

En octobre 2019, une projection du film de Callisto Delphine et Carole, insoumuses
est organisée au cinéma occupé La Clef Revival (Paris), nous proposons sur invitation de Mélanie Gourarier, notre première performance en duo, « We Will Cut You », remake de la performance de Delphine Seyrig et Carole Roussopoulos dans leur bande vidéo « SCUM Manifesto ».

Nous sommes assises à une table, Émilie lit des extraits de « SCUM » que Callisto retranscrit sur son ordinateur :

« Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. Alors, à toutes celles qui ont un brin de civisme, le sens des responsabilités et celui de la rigolade, il ne reste qu’à renverser le gouvernement, en finir avec l’argent, instaurer l’automation à tous les niveaux et supprimer le sexe masculin.»

Une « neige » télévisuelle enveloppe les temps de lecture. Lorsque la lecture s’interrompt, des images d’actualités, faisant écho au texte, sont projetées sur l’écran de la salle de cinéma. Se succèdent des images de La Manif pour tous, danse présidentielle de Donald et Melania Trump, des violences policières exercées sur les gilets jaunes, Emmanuel Macron, Marlène Schiappa, Rokhaya Diallo face à Natacha Polony. Les spectateurs et spectatrices ne sont pas au courant qu’il s’agit d’un texte de Valerie Solanas dont les mots sortent directement de la bouche d’Émilie, cela n’est précisé qu’à la fin de la performance, laissant la possibilité d’une mise en écho d’autant plus efficace entre texte et images. Callisto prend à son tour la parole :

« Nous venons de lire des extraits de SCUM Manifesto, de Valérie Solanas. Ce texte paru en 1968, en France, avait initialement été traduit par Emmanuelle de Lesseps, et accompagné d’une préface de l’écrivaine féministe Christiane Rochefort. Depuis 2005, il a été réédité par Mille et Une Nuits avec une postface de Michel Houellebecq, il est donc difficile d’avoir envie de l’acheter sous cette forme. Ce n’est pas à Michel Houellebecq de postfacer Solanas. Michel Houellebecq ‘’est complètement égocentrique, prisonnier de lui même, incapable de partager, ou de s’identifier à d’autres ; inapte à l’amour, à l’amitié, à l’affection, la tendresse. Elément complètement isolé, incapable d’établir des relations avec qui que ce soit, ses réactions ne sont pas réfléchies, elles sont toujours viscérales, son intelligence ne lui sert qu’à satisfaire ses besoins et ses pulsions’’ (SCUM Manifesto de Valerie Solanas). Nous avons donc ressenti le besoin de réactiver SCUM Manifesto, vidéo d’aout 1976, de Delphine Seyrig et Carole Roussopoulos en réponse à l’actualité de cette rentrée 2019. »

We Will Cut You, n’est pas notre seule performance mais elle a également vécu une seconde vie.
Confinées dans nos appartements respectifs, dans l’impossibilité de nous retrouver pour réaliser une nouvelle performance dans le cadre d’une invitation des Laboratoires d’Aubervilliers, nous en avons proposé une adaptation vidéo, diffusée en mai 2020 sur YouTube. La pensée radicale de Solanas donne un éclairage nouveau à ce que nous traversons aujourd’hui.
Réalisée à distance en période de confinement, grâce aux outils numériques contemporains (notamment Zoom),

We Will Cut You (vidéo, 23 min, 2020) réactive SCUM Manifesto en réponse à l’actualité de la crise sanitaire.

Notre seconde performance, « Foules Sentimentales » (Festival Hors Pistes, Centre Pompidou, janvier 2020), revisitait à nouveau cette mise en scène, en s’appuyant non plus sur la lecture du manifeste de Valerie Solanas mais sur la version première d’un texte d’Émilie, Macronique, les choses qui n’existent pas existent quand même. Ce texte établit un relevé des violences policières, qui, à l’instar des violences sexuelles, peuvent simultanément se produire et ne pas exister. La performance s’ouvrait sur une citation de la féministe et autrice Christiane Rochefort, préfacière de Solanas, trace généalogique de la performance précédente. « Foules sentimentales » commence ainsi :

« Il n’y a pas de violences policières, les violences policières sont légales on ne peut donc pas parler de violence. Une députée porte-parole de La République en Marche n’a pas constaté de violences policières mais veut bien qu’on lui en montre. Elle précise ensuite, lorsqu’on lui présente des images, que ce qu’elle appelle violences policières seraient en fait des condamnations avérées pour violences policières, et non des représentations de violences policières. Les violences policières qui n’ont pas été jugées en tant que violences policières ne sont pas des violences policières. »

On croisait, dans le montage projeté en parallèle à la lecture, Emmanuel Macron, Christophe Castaner, des vidéos de violences policières, des images documentaires d’un centre de formation pour CRS, Adèle Haenel chez Médiapart. Cette performance avait pour objet de connecter violences policières et violences sexuelles qui relèvent toutes deux de régimes politiques et sociaux patriarcaux et autoritaires.

Notre pratique commune de la performance est le résultat de notre amitié féministe et de la conjonction de compétences partagées, simultanément cinématographiques et littéraires.
Nous souhaitons aujourd’hui déployer dans de nouvelles performances ce dispositif sobre de mise en dialogue entre lecture de textes et montage vidéo d’actualités. Nous aimons la manière dont cette mise en confrontation donne un sens nouveau aux images et aux paroles, dans une mise en scène non hiérarchique.

Nos performances pratiquent le piratage d’images provenant de sources diverses : grandes chaînes d’information, émissions de radio, vidéos réalisées à titre individuel ou corporatiste, allocutions présidentielles et gouvernementales.

Nous répliquons à l’actualité, nous exerçons un droit de réponse, tantôt par la lecture, tantôt par le chant en détournant des paroles de chansons populaires (Foule sentimentale, Les mots bleus) ou en intervenant par le montage, à travers la répétition de certains lapsus et propos aberrants tenus par celles et ceux qui nous gouvernent.

Ce droit de réponse nous permet de réagir, avec colère mais non sans humour, à cette parole dominante, d’extraire les pépites de misogynie et de racisme parfois noyées
dans le flux des informations qui s’incrustent quotidiennement sur nos rétines.
Il s’agit aussi de veiller à ne pas se laisser engourdir par le cynisme de ce discours dominant, normalisé par sa mise en boucle et d’envisager une sortie de route joyeuse et engagée.

We Will Cut You 2022, avec Callisto Mc Nulty, Union Docs, Brooklyn, New York, invitation Mathilde Billaud-Walker, mai 2022.
We Will Cut You 2020 (vidéo), IAC Villeurbane, exposition Rituel•le•s, 29 octobre 2019 – 31 janvier 2020.
We Will Cut You 2020 (vidéo), Festival Inact, Strasbourg, mai 2020.
We Will Cut You 2020 (vidéo), Les laboratoires d’Aubervilliers, mai 2020.
We Will Cut You (performance), La Clef Revival, invitation La Serrure films de meufs, octobre 2019.